Petite(s) histoire(s) de la pipe : quand GBD intentait un procès en contrefaçon à JBD

par **Chris W** Sam 12 Jan 2019 - 15:50

On tombe parfois sur des documents curieux en faisant des recherches. Ainsi il y a quelque temps j’ai découvert un jugement de la Haute Cour de Justice d’Irlande de 1901, dans une affaire de contrefaçon opposant les pipes GBD aux pipes JBD.

La plainte opposait Auguste Maréchal et Ferdinand Ruchon, propriétaires de la marque GBD en 1901, à un détaillant en pipes de Londonderry. Pour rendre les choses un peu plus claires, rappelons auparavant quelques éléments sur les pipes GBD.

On sait que la marque fut fondée à Paris en 1850 par Ganneval, Bondier et Donninger, d’où l’acronyme de leur nom, GBD. Ils commencèrent par y commercialiser des pipes d’écume, puis très vite ils s’aperçurent des avantages inestimables de la bruyère pour les pipes. Peu après que les premières fabrications eurent débuté à Saint-Claude ils prirent contact avec des fournisseurs de là-bas et commencèrent à se procurer le nouveau matériau brut pour produire des pipes en bruyère à Paris. Bientôt la bruyère supplanta l’écume comme principale production. Bondier survécut à ses partenaires pendant environ 30 ans. Ceux-ci furent remplacés par d’autres. La propriété de GBD mais aussi sa raison sociale changèrent plusieurs fois : de Ganneval, Bondier & Donninger, on passa à Bondier, Ulrich & Cie, puis Bine, Marechal & Cie et finalement A. Maréchal, Ruchon & Cie. En même temps c’est la marque GBD, qui commençait à s’imposer, qui fut conservée. Auguste Maréchal et Ferdinand Ruchon dirigèrent la compagnie durant plus de cinquante ans.

Maréchal & Ruchon visèrent très tôt le marché anglais : dès 1870 ils étaient entrés en relation avec Oppenheimer & Co de Londres (Charles Oppenheimer avait fondé cette entreprise de commerce prospère en 1860 en tant que maison d’import/export. Ses frères David et Adolphe et son beau frère Louis Adler le rejoignirent rapidement. Adolphe reprit l’affaire quand Charles fut nommé ambassadeur d’Angleterre en Allemagne).

En tant que plus important client du monde anglophone, Oppenheimer &Co furent choisis comme unique distributeurs pour la Grande Bretagne, les USA et le Canada en 1897.

En 1902 Maréchal et Ruchon vendirent GBD à A. Oppenheimer & Co. A. Maréchal, Ruchon et Cie à Paris étaient dorénavant Marechal, Ruchon & Co Ltd, une entreprise anglaise avec quatre directeurs : Adolphe Oppenheimer et James Adler avaient leur bureau au siège social à Londres tandis que Auguste Maréchal et Ferdinand Ruchon poursuivaient l’activité de l’usine GBD de la rue des Balkans à Paris, qui avait été considérablement agrandie et modernisée. Ruchon en était le PDG.

Mais en 1901, à l’époque du procès, la fusion n’avait pas encore eu lieu. James Adler, d’Oppenheimer était l’agent de Maréchal et Ruchon à Londres.

L’histoire (l’exposé des faits de la requête en réalité) raconte que James Adler, ayant été avisé qu’un vendeur de Londonderry vendait des pipes marquées JBD, dans un ovale, pipes destinées vraisemblablement à les confondre avec des GBD, il se rendit à Londonderry, dans ce magasin.

Dans la vitrine il y vit quelques GBD originales ainsi que des boites contenant dix ou douze pipes marquées JBD. Il entra dans le magasin, en acheta 8 et expliqua au vendeur que cette marque JBD apparaissait comme une imitation frauduleuse de la marque qu’il représentait. Le vendeur nia toute contrefaçon, refusa d’en arrêter la vente et refusa également de donner le nom de son fournisseur.

Une plainte fut donc déposée. A l’appui de celle-ci plusieurs témoignages furent fournis, indiquant entre autre que les plaignants vendaient de grandes quantités de pipes marquées GBD en Grande Bretagne depuis de nombreuses années, et que ce marquage, qui représentait d’ailleurs les initiales des fondateurs, y avait été déposé comme marque de fabrique dès 1877. Des témoignages fournis par des détaillants de Londres (H.E. Stubbins et B.R. Arkell) confirmaient que la marque GBD était suffisamment connue comme étant celle des plaignants, et qu’ils pensaient que la grande similarité des marquages GBD et JBD étaient de nature à les confondre et qu’un détaillant malhonnête n’aurait eu aucun mal à vendre l’une pour l’autre.

L’argumentation du défendeur consista à dire que le marquage JBD n’était pas une imitation mais étaient les initiales de John Baldrick, Derry. ( Razz

) Qu’il vendait de telles pipes depuis plusieurs années sans que personne ne se soit plaint, et qu’il ne pensait pas être en infraction. Qu’au demeurant la griffe JBD était plus grande que celle des plaignants, et en lettres dorées, à la différence de celle des pipes GBD et qu’il n’y avait pas de preuve qu’il avait vendu celles-ci comme provenant de la fabrique des plaignants. Rolling Eyes

Dans un premier temps, l’avocat du détaillant, après avoir reçu l’assignation, avait proposé à GBD d’arrêter d’utiliser cette marque, mais à condition qu’on lui laisse d’abord écouler son stock Razz

(quelques grosses tout de même – rappelons qu’une grosse compte douze douzaines), ce qui fut bien sûr refusé par les avocats de James Adler.

A la demande de restitution de la griffe JBD, l’avocat du contrefacteur, qui se nommait Moriarty (ça ne s’invente pas Twisted Evil

) déclara que le défendeur ne pouvait pas la restituer, étant établi que les pipes étaient fabriquées à Manchester.

Après plusieurs discussions entre avocats, il accepta de remettre la griffe, de cesser de vendre des pipes JBD et de restituer le stock restant à GBD, à condition de ne pas payer de dommages et intérêts, ce qui fut accepté. Il fut quand même condamné à rembourser à Marechal & Ruchon, et par suite à leur agent James Adler les frais occasionnés par le procès.

De tout cela, on peut voir que GBD était une marque bien implantée et très bien considérée en Grande Bretagne à l’aube du XXème siècle, et allait bientôt devenir la première marque de pipes franco-anglaises.

par **tabadoc** Sam 12 Jan 2019 - 21:12

Très intéressant. Merci Chris !

par **Asmascega** Dim 13 Jan 2019 - 0:10

Drôle d'histoire.

Mais au final, et quoi qu'aient prétendus les avocats de chacune des deux parties, les pipes JBD étaient-elles volontairement faites pour ressembler aux pipes GBD, ou la similitude de leurs marquages était-elle une sacrée coïncidence? confused

On ne sera sans doute jamais sûrs de la réponse.

par **papaalino** Dim 13 Jan 2019 - 11:33

merci pour cette partie historique de l'une de mes futures renovation

par **Alexandre** Dim 13 Jan 2019 - 13:29

Merci pour cette page d'histoire Chris !

par **tabadoc** Lun 14 Jan 2019 - 13:27

Asmascega a écrit:Drôle d'histoire.

Mais au final, et quoi qu'aient prétendus les avocats de chacune des deux parties, les pipes JBD étaient-elles volontairement faites pour ressembler aux pipes GBD, ou la similitude de leurs marquages était-elle une sacrée coïncidence? On ne sera sans doute jamais sûrs de la réponse.

C'est un peu ce que je m'étais dit en lisant ce papier...

par **Chris W** Lun 14 Jan 2019 - 14:16

Je ne serais peut-être pas aussi indulgent que vous deux . D'abord le fait pour le commerçant d'exposer dans sa vitrine côte à côte des pipes GBD (déjà assez connues d'après les témoignages) et des pipes JBD, au marquage assez semblable à l'exception de la couleur Mad

Même en 1900 on parlait déjà des contrefaçons Twisted Evil

.
Ensuite le fait de proposer de cesser la commercialisation, mais seulement après écoulement du stock (quelques grosses...quand on sait qu'une grosse correspond à 144 unités ) Shocked

Enfin l'acceptation de la transaction, consistant à restituer son stock et la griffe de marquage, sous condition de ne pas demander de dommages et intérêts !
Le commerçant de Derry ne devait pas se sentir très à l'aise.
Mais peut-être effectivement suis-je un peu trop méfiant. Very Happy

Pour ceux que ça intéresse, un lien qui renvoie au document : https://watermark.silverchair.com/18-12-262.pdf

par **tabadoc** Lun 14 Jan 2019 - 16:49

Ou nous trop confiants... Very Happy

par **clod46** Lun 14 Jan 2019 - 19:29

Merci Chris pour cet intéressant article. Les querelles entre fabricants ne datent pas d'aujourd'hui, comme sans toutes les professions d'ailleurs

par Invité Lun 14 Jan 2019 - 20:32

clod46 a écrit:Merci Chris pour cet intéressant article. Les querelles entre fabricants ne datent pas d'aujourd'hui, comme sans toutes les professions d'ailleurs

Très juste.

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